Réformer efficacement le système des retraites par une modification du financement

Publié le par Vincent Coppolani

Propositions pour réformer efficacement le système des retraites par une modification du financement et du calcul des droits dans l'objectifs d'une pérénisation du système par répartition.

Résoudre le problème de retraites est un sujet qui préoccupe les français et leurs dirigeants depuis longtemps. Les retraites seraient-elles un problème ? Bien sûr, le problème c’est leur financement. Mais à force de ne regarder les retraites que sous l’angle du financement et par le prisme déformant de l’équilibre des caisses, on risque non seulement de ne pas résoudre le problème mais de casser le service lui-même.
Pourtant, la retraite (dans son concept même) est le seul outil équitable en notre possession pour assurer à la fois la régulation dans le partage des tâches (répartition du travail) et la répartition des richesses.
« On vit plus longtemps donc il faut travailler plus longtemps …»
À part la rime, il n’y a aucune logique à cette proposition que l’on entend depuis plus de vingt ans comme justification du report de l’âge de départ en retraite. Pourtant, depuis plus de deux siècles, la durée de vie moyenne augmente régulièrement et le temps de travail individuel décroît tout aussi régulièrement. Qui peut croire qu’en ce début de 21ème siècle, alors que les progrès des sciences et techniques sont les plus performants, cette tendance devrait s’inverser ?
Il n’y a aucune logique ni aucun besoin, en terme de production, d’allonger la durée de vie active moyenne dans notre pays. Au contraire.
D’où vient donc le problème ? Exclusivement de la méthode de financement.
Le financement actuel des retraites, quelles que soient les caisses, est basé sur les revenus des personnes actives : les honoraires, les revenus commerciaux ou non commerciaux et (pour la majorité) les salaires.
Or, avec l’augmentation de la productivité, le besoin de travail humain dans la production est en constante diminution. La rémunération de ce travail humain est (proportionnellement) de plus en plus faible : la part des richesses distribuées dans la masse salariale est en diminution constante ces trente dernières années.
C’est bien là le seul vrai problème.
Le système de financement est assis sur une assiette qui diminue, alors que le besoin de financement augmente. Moins il y besoin de travail humain, plus le nombre d’actifs est faible et le nombre de non-actifs important.
Vouloir, en repoussant l’âge de départ en retraite, limiter le nombre de non-actifs revient en creux à prétendre fixer le nombre d’actifs dont l’économie a besoin. C’est totalement irréel. À moins de vouloir instaurer une économie de type stalinien, on ne peut imposer à des entreprises d’embaucher des personnes dont elles n’ont nul besoin.

Pourtant, avec l’augmentation de la productivité (et nous ne mesurons pas encore la puissance de la révolution informatique et robotique toujours en cours) le ratio Non-actifs / Actifs croît sans cesse. Il a déjà dépassé 1 et continue à augmenter inexorablement.
Vouloir diminuer artificiellement le nombre de retraités ne diminuera pas le nombre de non-actifs. Ils seront alors chômeurs, étudiants en attente de rentrer dans la vie active, bataillons de jeunes (ou moins jeunes) hommes et femmes désocialisés…
Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
C’est le besoin limité en actifs qui détermine le nombre de non-actifs. Nous devons faire en sorte que les non-actifs soient des retraités qui ont donné leur part à la société, plutôt que des millions de personnes en âges de travailler que l’on jette en proie à la désocialisation (avec tous les coûts sociaux, médicaux et de sécurités induits)
On ne peut pas établir les revenus d’un nombre de plus en plus important de non-actifs sur les revenus d’un nombre de moins en moins important d’actifs. Il est indispensable de changer l’assiette.
L’état actuel :
Comme on ne peut pas prélever beaucoup plus sur les revenus des actifs, la solution actuellement en place consiste à limiter les dépenses. Pour cela deux axes ont été privilégiés.
• Diminuer le nombre de retraités (ou du moins de personnes pouvant prétendre à une pension) ; c’est le sens du report de l’âge légal de la retraite de 60 à 62 (voire 67) ans.
• Diminuer le montant des pensions versées individuellement.
Politiquement, on ne touche pas le symbole dit « du taux plein », mais on met en place des conditions d’obtention telles que très peu de personnes peut en bénéficier. Le montant global des pensions versées est donc diminué. C’est le sens de l’augmentation du nombre d’annuités exigées et de la mise en place de la décote.
Première possibilité : les salariés jouent le jeu et peuvent travailler le temps nécessaire pour avoir leurs annuités. Cela équivaut à un recul réel de l’âge de la retraite. La classe d’âge au travail vieillissant, c’est l’entrée dans la vie active et le chômage des jeunes qui deviendra extrêmement préoccupant, avec des jeunes qui entreront plus tard dans le travail, s’installeront plus tard, auront des enfants plus tard (la natalité, point fort de la France risque même de s’en ressentir !) et… partiront en retraite plus tard. On assiste alors à un glissement de la classe active vers les populations âgées avec des travailleurs loin de leur formation initiale ce qui, vue l’évolution rapide des technologies n’est pas un bon gage pour la productivité.
Ce faisant, on diminue bien le nombre de retraités mais on n’augmente pas le nombre d’actifs. On transfère simplement la période moyenne d’activité d’une classe d’âge jeune vers une classe d’âge plus âgée. Cette diminution du nombre de retraités est compensée par une augmentation du nombre de chômeurs.
Deuxième possibilité : les salariés ne jouent pas (ou ne peuvent pas jouer) le jeu. Les annuités requises ne sont pas acquises. Ce sont les retraites qui baissent.
Le scénario réel est un mélange des deux.
Il existe un autre facteur pervers à ce système actuel : l’amalgame entre le mode de financement et le mode de calcul des droits, tous deux assis sur la même base : le salaire. Cela donne l’impression que les deux sont liés et que, si l’on augmente le prélèvement, il faut augmenter la durée d’acquisition des droits.

Un autre modèle :
On peut voir le financement des retraites comme des cotisations salariales, c'est-à-dire des salariés qui « payent » pour les retraités (comme on entend souvent). La retraite est alors qualifiée de salaire différé. Ce modèle prend sa justification sur le calcul des cotisations assis sur la masse salariale.
On peut aussi regarder le système actuel des retraites ainsi : une redistribution d’une part des richesses vers des gens qui ne sont plus actifs. Cette part de richesse étant calculée sur les salaires.
Deux façons de voir
- la retraite est une part des salaires,
- la retraite est une part des richesses produites (calculée sur les salaires).
En apparence, peu de différence, mais cette vision différente permet d’envisager des solutions différentes.
Si on ne regarde plus la retraite comme une part des salaires mais comme une part des richesses produites, on peut donc envisager de l’asseoir sur autre chose que le revenu des actifs, et séparer le financement d’une part et le calcul des droits d’autre part.

De l’âge de la retraite :
Quel doit être l’âge de départ à la retraite en 2035 ? En 2050 ? Quel sera le ratio Actif / Non actifs ? Personne ne peut le dire sérieusement !
Il est aussi stupide de décréter l’âge de départ à la retraite à 67 ans que de vouloir le ramener à 60.
Il faut prendre le problème à l’endroit. L’âge de la retraite n’est pas le point de départ mais le point d’arrivée du problème.
En fonction des besoins de l’économie, des formations, des durées hebdomadaires et annuelles du travail (sur lesquelles il faudra aussi se pencher), des problèmes de production, d’énergie et d’autres paramètres encore, le point de départ est la détermination du taux d’activité et du nombre d’actifs dont l’Économie a besoin. C’est ce besoin de personnes en état d’activité réelle qui doit déterminer l’âge de départ en retraite.
Il faut admettre que cet âge peut fluctuer d’années en années, à la baisse comme à la hausse, selon les évolutions des besoins. Sa variation sera néanmoins très faible d’une année sur l’autre, et les gains de productivité à venir devraient amener une baisse tendancielle des besoins en temps de travail, donc un abaissement tendanciel de l'âge de départ …
À partir de là, les non-actifs se composent quasi exclusivement des scolaires, des étudiants, des ex-étudiants en attente de leur premier travail (mais sur une période courte), d’un nombre irréductible de chômeurs correspondant à des changements dans l’emploi (là aussi d’une période courte et correspondant à un nombre réduit de personnes), et de retraités rémunérés comme tels.

Le financement :
À une époque où la richesse produite était le fruit principal du travail humain, lorsqu’elle était proportionnelle (avec la même proportionnalité pour chaque entreprise) à la masse salariale versée, calculer les prélèvements pour alimenter les retraites sur la masse salariale ou sur la valeur ajoutée pouvait revenir au même. Ce n’est plus le cas actuellement.
Dans une Économie où la richesse produite est de plus en plus déconnectée du travail humain, il est nécessaire de déconnecter les prélèvements des revenus de ce travail.
Si l’on considère que la retraite est la répartition (ou redistribution) d’une partie de la richesse produite, alors le financement des caisses de retraite doit logiquement se faire par prélèvement d’une part de la richesse produite. Il faut donc asseoir les cotisations sur la valeur ajoutée.
Le taux des prélèvements sur valeur ajoutée s’ajuste année par année en fonction des richesses produites, des retraites à servir.
La plupart des entreprises peuvent produire de plus en plus avec de moins en moins de travail mais certaines ne le peuvent pas, certaines ont toujours besoins de salariés. Va-t-on laisser porter tout le poids de la protection sociale, du financement des non-actifs, sur ces quelques entreprises qui ont (malheur à elles) encore besoin de personnel ?

Les Droits :
Les droits étant déconnectés du mode de financement, il convient de revoir totalement les règles d’acquisition des droits. Peuvent être pris en comptes la durée de travail, la pénibilité, la nature des travaux, le nombre d’enfants, le niveau d’étude, le salaire moyen, le salaire final, des décotes, des plafonnements, des bonus… sur ce point tout est ouvert. Et les règles doivent être établies dans la concertation.

Une conférence annuelle nationale sur les retraites et les salaires.
Les revalorisations des cotisations et du montant des pensions sont fixées annuellement et conjointement, par une conférence tétra-partite composée de représentants des entreprises, de représentants des actifs, de représentants des retraités et de représentants de l’État (ministres, parlementaires). Elle détermine également l’évolution de l’âge de départ en retraite, et l’évolution éventuelle du mode de calcul des droits.

Quelques avantages de ce système.
Il ne distribue que ce qui existe et permet de prélever ce qui est nécessaire, rien que ce qui est nécessaire, mais tout ce qui est nécessaire au paiement des retraites avec justesse et justice. Cette répartition est assurée de manière démocratique, par des représentants élus de tous les corps concernés, lors de négociations permanentes. Cela assure davantage de démocratie et de transparence dans le partage des richesses.
Le financement devenant unique, il implique la fusion de toutes les caisses en une caisse de retraite nationale unique. Ne parlons même pas ici des économies d’échelle et de gestion…
Lors de leur solde, le calcul des droits sera beaucoup plus simple à effectuer pour les actifs, quel que soit leur parcours professionnel, à une époque où l’on vante les reconversions, les parcours multiples et les passages d’une entreprise à l’autre, du public au privé, du salariat au monde libéral. À une époque où l’on persuade tout jeune qu’il fera nécessairement sa carrière dans plusieurs entreprises, plusieurs secteurs, plusieurs statuts, la multiplicité des caisses de protection sociale et de retraites est une aberration.
La désindexation des cotisations sur les salaires diminue fortement le « coût du travail ». Si une entreprise produit de la richesse, elle paye une cotisation correspondante, si elle a besoin d’un salarié de plus, cela ne modifiera en rien la cotisation versée, les cotisations sociales étant déconnectées de la masse salariale elles ne sont plus un frein à l’emploi.
Ce système permet à toutes les entreprises de participer au financement du système social quel que soit son mode de production ou son nombre de salariés. Il permet même le financement par les produits importés.
Les cotisations étant sur la production, rien n’empêche de prendre en compte, pour le calcul des taux, certains paramètres sur lesquels on veut mettre l’accent pour avoir un levier sur la politique industrielle du pays. Les taux peuvent être différents d’un secteur à l’autre, d’une activité à l’autre, et prendre en compte des paramètres sociaux, environnementaux, etc.
Ceci est un cadre global définissant les grandes lignes du financement et des droits. La mise en œuvre de toute la partie technique, du mode calcul des droits aux taux de cotisation, en passant par la fusion des caisses actuelles, doit se faire dans la concertation et la négociation, mais ces grandes lignes doivent être respectées pour une réforme des retraites juste, efficace, cohérente avec la réalité et surtout adaptable, modulable, flexible et pérenne

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